martes, noviembre 18, 2025

...Il Est Grand Temps de Rallumer Les Etoiles...



[...]Puis le temps est venu le temps des hommes
J’ai fait la guerre ainsi que tous les hommes


C’était au temps où j’étais dans l’artillerie
Je commandais au front du nord ma batterie
Un soir que dans le ciel le regard des étoiles
Palpitait comme le regard des nouveau-nés
Mille fusées issues de là tranchée adverse
Réveillèrent soudain les canons ennemis


Je m’en souviens comme si cela s’était passé hier


J’entendais les départs mais non les arrivées
Lorsque de l’observatoire d’artillerie
Le trompette vint à cheval nous annoncer
Que le maréchal des logis qui pointait
Là-bas sur les lueurs des canons ennemis
L’alidade de triangle de visée faisait savoir
Que la portée de ces canons étaient si grande
Que l’on n’entendait plus aucun éclatement
Et tous mes canonniers attentifs à leurs postes
Annoncèrent que les étoiles s’éteignaient une à une
Puis l’on entendit de grands cris parmi toute l’armée


ILS ÉTEIGNENT LES ÉTOILES À COUPS DE CANON


Les étoiles mouraient dans ce beau ciel d’automne
Comme la mémoire s’éteint dans le cerveau
De ces pauvres vieillards qui tentent de se souvenir
Nous étions là mourant de la mort des étoiles
Et sur le front ténébreux aux livides lueurs
Nous ne savions plus que dire avec désespoir


ILS ONT MÊME ASSASSINÉ LES CONSTELLATIONS


Mais une grande voix venue d’un mégaphone
Dont le pavillon sortait
De je ne sais quel unanime poste de commandement
La voix du capitaine inconnu qui nous sauve toujours cria


IL EST GRAND TEMPS DE RALLUMER LES ÉTOILES


Et ce ne fut qu’un cri sur le grand front français


AU COLLIMATEUR À VOLONTÉ


Les servants se hâtèrent
Les pointeurs pointèrent
Les tireurs tirèrent
Et les astres sublimes se rallumèrent l’un après l’autre
Nos obus enflammaient leur ardeur éternelle
L’artillerie ennemie se taisait éblouie
Par le scintillement de toutes les étoiles


Voilà voilà l’histoire de toutes les étoiles


Et depuis ce soir-là j’allume aussi l’un après l’autre
Tous les astres intérieurs que l’on avait éteints


[...]Pardonnez-moi cher Public
De vous avoir parlé un peu longuement
Il y a si longtemps que je m’étais retrouvé parmi vous


Mais il y a encore là-bas un brasier
Où l’on abat des étoiles toutes fumantes
Et ceux qui les rallument vous demandent
De vous hausser jusqu’à ces flammes sublimes
Et de flamber aussi


Ô public
Soyez la torche inextinguible du feu nouveau
















Guillaume Apollinaire




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Extrait du préface des Mamelles de Tirésias



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