martes, abril 07, 2020

L’art n’est pas à mes yeux une réjouissance solitaire...


Albert Camus - Discours de réception du prix Nobel, 1957







Sire, Madame, Altesses Royales, Mesdames, Messieurs,


En recevant la distinction dont votre libre Académie a bien voulu m’honorer, ma gratitude était d’autant plus profonde que je mesurais à quel point cette récompense dépassait mes mérites personnels. Tout homme et, à plus forte raison, tout artiste, désire être reconnu. Je le désire aussi. Mais il ne m’a pas été possible d’apprendre votre décision sans comparer son retentissement à ce que je suis réellement. Comment un homme presque jeune, riche de ses seuls doutes et d’une œuvre encore en chantier, habitué à vivre dans la solitude du travail ou dans les retraites de l’amitié, n’aurait-il pas appris avec une sorte de panique un arrêt qui le portait d’un coup, seul et réduit à lui-même, au centre d’une lumière crue ? De quel cœur aussi pouvait-il recevoir cet honneur à l’heure où, en Europe, d’autres écrivains, parmi les plus grands, sont réduits au silence, et dans le temps même où sa terre natale connaît un malheur incessant ?


J’ai connu ce désarroi et ce trouble intérieur. Pour retrouver la paix, il m’a fallu, en somme, me mettre en règle avec un sort trop généreux. Et, puisque je ne pouvais m’égaler à lui en m’appuyant sur mes seuls mérites, je n’ai rien trouvé d’autre pour m’aider que ce qui m’a soutenu tout au long de ma vie, et dans les circonstances les plus contraires : l’idée que je me fais de mon art et du rôle de l’écrivain. Permettez seulement que, dans un sentiment de reconnaissance et d’amitié, je vous dise, aussi simplement que je le pourrai, quelle est cette idée.


Je ne puis vivre personnellement sans mon art. Mais je n’ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S’il m’est nécessaire au contraire, c’est qu’il ne se sépare de personne et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous. L’art n’est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d’émouvoir le plus grand nombre d’hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes. Il oblige donc l’artiste à ne pas se séparer ; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui, souvent, a choisi son destin d’artiste parce qu’il se sentait différent apprend bien vite qu’il ne nourrira son art, et sa différence, qu’en avouant sa ressemblance avec tous. L’artiste se forge dans cet aller retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s’arracher. C’est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien ; ils s’obligent à comprendre au lieu de juger. Et s’ils ont un parti à prendre en ce monde ce ne peut être que celui d’une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne règnera plus le juge, mais le créateur, qu’il soit travailleur ou intellectuel.


Le rôle de l’écrivain, du même coup, ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd’hui au service de ceux qui font l’histoire : il est au service de ceux qui la subissent. Ou sinon, le voici seul et privé de son art. Toutes les armées de la tyrannie avec leurs millions d’hommes ne l’enlèveront pas à la solitude, même et surtout s’il consent à prendre leur pas. Mais le silence d’un prisonnier inconnu, abandonné aux humiliations à l’autre bout du monde, suffit à retirer l’écrivain de l’exil chaque fois, du moins, qu’il parvient, au milieu des privilèges de la liberté, à ne pas oublier ce silence, et à le relayer pour le faire retentir par les moyens de l’art.


Aucun de nous n’est assez grand pour une pareille vocation. Mais dans toutes les circonstances de sa vie, obscur ou provisoirement célèbre, jeté dans les fers de la tyrannie ou libre pour un temps de s’exprimer, l’écrivain peut retrouver le sentiment d’une communauté vivante qui le justifiera, à la seule condition qu’il accepte, autant qu’il peut, les deux charges qui font la grandeur de son métier : le service de la vérité et celui de la liberté. Puisque sa vocation est de réunir le plus grand nombre d’hommes possible, elle ne peut s’accommoder du mensonge et de la servitude qui, là où ils règnent, font proliférer les solitudes. Quelles que soient nos infirmités personnelles, la noblesse de notre métier s’enracinera toujours dans deux engagements difficiles à maintenir : le refus de mentir sur ce que l’on sait et la résistance à l’oppression.


Pendant plus de vingt ans d’une histoire démentielle, perdu sans secours, comme tous les hommes de mon âge, dans les convulsions du temps, j’ai été soutenu ainsi par le sentiment obscur qu’écrire était aujourd’hui un honneur, parce que cet acte obligeait, et obligeait à ne pas écrire seulement. Il m’obligeait particulièrement à porter, tel que j’étais et selon mes forces, avec tous ceux qui vivaient la même histoire, le malheur et l’espérance que nous partagions. Ces hommes, nés au début de la première guerre mondiale, qui ont eu vingt ans au moment où s’installaient à la fois le pouvoir hitlérien et les premiers procès révolutionnaires, qui furent confrontés ensuite, pour parfaire leur éducation, à la guerre d’Espagne, à la deuxième guerre mondiale, à l’univers concentrationnaire, à l’Europe de la torture et des prisons, doivent aujourd’hui élever leurs fils et leurs œuvres dans un monde menacé de destruction nucléaire. Personne, je suppose, ne peut leur demander d’être optimistes. Et je suis même d’avis que nous devons comprendre, sans cesser de lutter contre eux, l’erreur de ceux qui, par une surenchère de désespoir, ont revendiqué le droit au déshonneur, et se sont rués dans les nihilismes de l’époque. Mais il reste que la plupart d’entre nous, dans mon pays et en Europe, ont refusé ce nihilisme et se sont mis à la recherche d’une légitimité. Il leur a fallu se forger un art de vivre par temps de catastrophe, pour naître une seconde fois, et lutter ensuite, à visage découvert, contre l’instinct de mort à l’œuvre dans notre histoire.


Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. Héritière d’une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd’hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l’intelligence s’est abaissée jusqu’à se faire la servante de la haine et de l’oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d’elle, restaurer, à partir de ses seules négations, un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. Devant un monde menacé de désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent d’établir pour toujours les royaumes de la mort, elle sait qu’elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche d’alliance. Il n’est pas sûr qu’elle puisse jamais accomplir cette tâche immense, mais il est sûr que partout dans le monde, elle tient déjà son double pari de vérité et de liberté, et, à l’occasion, sait mourir sans haine pour lui. C’est elle qui mérite d’être saluée et encouragée partout où elle se trouve, et surtout là où elle se sacrifie. C’est sur elle, en tout cas, que, certain de votre accord profond, je voudrais reporter l’honneur que vous venez de me faire.


Du même coup, après avoir dit la noblesse du métier d’écrire, j’aurais remis l’écrivain à sa vraie place, n’ayant d’autres titres que ceux qu’il partage avec ses compagnons de lutte, vulnérable mais entêté, injuste et passionné de justice, construisant son œuvre sans honte ni orgueil à la vue de tous, sans cesse partagé entre la douleur et la beauté, et voué enfin à tirer de son être double les créations qu’il essaie obstinément d’édifier dans le mouvement destructeur de l’histoire. Qui, après cela, pourrait attendre de lui des solutions toutes faites et de belles morales ? La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu’exaltante. Nous devons marcher vers ces deux buts, péniblement, mais résolument, certains d’avance de nos défaillances sur un si long chemin. Quel écrivain, dès lors oserait, dans la bonne conscience, se faire prêcheur de vertu ? Quant à moi, il me faut dire une fois de plus que je ne suis rien de tout cela. Je n’ai jamais pu renoncer à la lumière, au bonheur d’être, à la vie libre où j’ai grandi. Mais bien que cette nostalgie explique beaucoup de mes erreurs et de mes fautes, elle m’a aidé sans doute à mieux comprendre mon métier, elle m’aide encore à me tenir, aveuglément, auprès de tous ces hommes silencieux qui ne supportent, dans le monde, la vie qui leur est faite que par le souvenir ou le retour de brefs et libres bonheurs.


Ramené ainsi à ce que je suis réellement, à mes limites, à mes dettes, comme à ma foi difficile, je me sens plus libre de vous montrer pour finir, l’étendue et la générosité de la distinction que vous venez de m’accorder, plus libre de vous dire aussi que je voudrais la recevoir comme un hommage rendu à tous ceux qui, partageant le même combat, n’en ont reçu aucun privilège, mais ont connu au contraire malheur et persécution. Il me restera alors à vous en remercier, du fond du cœur, et à vous faire publiquement, en témoignage personnel de gratitude, la même et ancienne promesse de fidélité que chaque artiste vrai, chaque jour, se fait à lui-même, dans le silence.





















Albert Camus





Partition Solo


Si je revenais un jour à ce qui fut : Trouverai-je
Ce qui fut et ce qui sera ? 
Partition solo
Et partition solo. 

De mille chansons, j'ai tenté de naître
Entre cendre et mer. Je n'ai pas trouvé
La mère qui fut la mère féconde.
La mer s'éloigne
Et partition solo.

J'ai cru mon âme quand elle m'a dit, adhère
Au mur qui s'effondre. Je me suis abandonné au désir sauvage
Et si j'avais, sur les saules, inscrit mon groupe sanguin,
Le vent aurait soufflé à contrevent dans les feuilles
Des saules. Les saules s'embrasent
Et partition solo.

Si je revenais un jour à ce qui fut, je ne trouverai
Que ce que, déjà, je n'y trouvais pas.
Que ne suis-je arbres, pour retrouver l'élan 
Du conteur et, partout où je penche, étayer mon horizon.
Que ne suis-je arbres qui ne grandissent pas en vain... 
Ai-je cru mon rêve ? Non. J'ai cru ce qui adviendrait
Et partition solo. 

Devant moi, une mer, et les murs me lapident.
Laisse donc ton être, mon garçon, et trouve ton salut.
La mer est plus petite que moi, comment me porterait-elle? Et elle est plus grande que moi, comment la porterai-je ?
La langue m'est devenue étroite, je me suis abandonné aux vaisseaux,
Mais le cœur de la mer ne m'a plus toléré
Lorsque  l'écume  l'absorba... Et je porte en moi la blanche éternité
Et partition solo.

Au-delà du lointain, encore un lointain, et plus il s'éloigne,
Plus le lointain s'approche des lignes de ma main.
Je le sens et le vois, un et unique
Sur l'air, à la cadence de ma chanson.
Notre ciel tombera-t-il sur nous, rassemblera-t-il ses débris
Chaque fois que nos foulées s'allongeront?
Si je revenais, un jour, à ce qui fut du pays
Des oliviers, je crierai : Prends ton temps, Pays!
Et partition solo.  

Si je revenais un jour à ce qui était, je n'y trouverai
Ni l'amour qui fut, ni l'amour qui sera.
De mille tubéreuses, j'ai tenté de promettre
Au vieux cœur un cœur jumeau et la folie
De mon aimée ! Obéissance de l'âme au corps,
Fin de ce qui jamais ne s'achève,
Tu as rompu la veine de mes vagues, fille de l'écume,
Tu as séparé ma voix de ma chanson.
Aah si je trouvais, trouvais le tempo
Et partition solo.

J'ai dit : l'Adieu n'est pas venu et il n'est pas arrivé et
Je suis parti en quête de ce qui, de ma lune, avait disparu. Laisse donc ta mort, homme, et pars.
Pars, émigre et voyage au sein du voyage.
Ce lieu n'est pas un lieu, si tu le perds.
Ce lieu n'est pas un lieu, si tu le chantes.
Mais chaque fois qu'un moineau se pose sur une pierre,
Tu recherches pour ton cœur une Eve qui le guide.
Et chaque fois qu'une branche plie, tu cries : Quel est le nombre
Des migrations ? Le nombre des morts, ô nombre?
Et partition solo. 

... Venu dans les pays des autres, je n'ai laissé
Aucun souvenir,
Ne leur ai apporté aucun.
Comme si je n'y étais pas venu, comme si je ne les avais pas vus. 

Je suis sorti pour pénétrer dans mes noms, mais l'oubli
Les dispersa et mon être se divisa pour les brandir.
Je passe par les choses comme si elles n'existaient pas...  Je ne trouve pas ce qui est.
De mille chansons, j'ai tenté de naître.
Si je revenais un jour à mon être, trouverais-je
L'être qui était l'être qui fut?
Aah si j'étais, si j'étais encore l'enfant...
Et partition solo. 











Mustafa Ata : Figurative composition , 2011











Mahmoud Darwish

Traduction de Elias Sanbar


sábado, abril 04, 2020

Creador hermano mío, las flores no son señuelos...


Creador hermano mío, las flores no son señuelos; en cada partícula de sus pétalos viven granos de polvo de luz que prueban, Creador hermano mío, a quien con su corazón sabe ver, que en una efímera partícula existe suficiente luz para iluminar la tierra entera. Creador hermano mío, la violeta, la amapola, el jacinto y la prímula son capaces de abrirse a la mínima partícula de gota de agua que sobre ellas cae. Creador, hermano mío, si por desgracia juzgas mis palabras como salidas de un ser simplista, en lugar de responderte, iría a recoger flores, con sus raíces, para hacer un ramo; entonces, trataría de descubrir entre las zarzas el suelo más fértil para replantar las flores con sus raíces. Y cuando la primavera esté de vuelta, mis ojos podrán contemplar flores saciadas de humus, flores del todo abiertas. Creador, hermano mío, si no sabes escuchar el lenguaje simple, sólo guardaré un recuerdo fugaz de ti y, a pesar de mí, mi corazón te juzgará, mi corazón pronunciará un veredicto: condenado, tú que podrías haber sido un signo de unidad, condenado por abuso de dialéctica, condenado por los tartamudeos enfermizos que hicieron de ti un ser filosófico. 


Creador hermano mío, ten cuidado cuando te encuentres con un hombre de frente clara, aspecto tranquilo y palabras mesuradas: ten cuidado, te digo, Creador, hermano mío, de que todo esto no sea un disfraz. Creador hermano mío, para que viva la vida, hace falta que juntos desterremos a los dialécticos de máscara pacífica, que desterremos, Creador hermano mío, a todos esos que tienen la inmensa pretensión de explicar lo inexplicable.














"Daniel Pons" & Créateur mon frère, les fleurs ne sont pas des leurres... & "Pabellón de Palabras"














Daniel Pons

Traducción de Mauricio Alejandro Moreno


jueves, abril 02, 2020

Créateur mon frère, les fleurs ne sont pas des leurres...



Créateur mon frère, les fleurs ne sont pas des leurres, dans chaque parcelle infime de leurs pétales vivent des grains de poussière de lumière qui prouvent, Créateur mon frère, à celui qui avec son cœur sait voir qu'il existe dans une infime parcelle d'éphémère suffisamment de lumière pour illuminer la terre tout entière. Créateur mon frère, la violette, le coquelicot, la jacinthe et la primevère sont aptes à s'ouvrir à la moindre parcelle de goutte d'eau qui sur elles tombe. Créateur mon frère, si par malheur tu jugeais mes propos comme ceux d'un être simpliste, au lieu de te répondre, j'irais cueillir des fleurs avec leurs racines pour en faire un bouquet, puis j'essaierais de découvrir parmi les ronces une terre fertile au plus pour y replanter les fleurs avec leurs racines. Et lorsque le printemps à nouveau sera là, mes yeux pourront contempler alors des fleurs gorgées d'humus, des fleurs épanouies au plus. Créateur mon frère, si tu ne sais pas entendre le langage simple, je ne garderai de toi qu'un souvenir éphémère et malgré moi mon cœur te jugera, mon cœur prononcera un verdict : condamné, toi qui aurais pu être un signe de l'unité, condamné pour abus de dialectique, condamné pour balbutiements maladifs qui ont fait de toi un être philosophique. 

Créateur mon frère, méfie-toi lorsque tu rencontres un homme au front bien dégagé, à l'allure paisible, aux propos mesurés : méfie-toi, te dis-je, Créateur mon frère, que tout cela ne soit pas déguisement. Créateur mon frère, pour que vive la vie, il faut qu'ensemble nous bannissions les dialecticiens au masque paisible, il faut que nous bannissions, Créateur mon frère, tous ceux qui ont l'immense prétention d'expliquer l'inexplicable.












"Daniel Pons" & "Créateur mon frère, les fleurs ne sont pas des leurres..."  & "Pabellón de Palabras"














Daniel Pons


martes, marzo 31, 2020

Una Página Para Inglés B


El profesor dijo,

Ve a casa y escribe
una página esta noche.
Déjala salir de ti...
Entonces, será verdadera.

Yo me pregunto si es así de simple.
Tengo veintidós años, soy de color y nací en Winston-Salem.
Allí fui a la escuela, luego fui a Durham, luego vine aquí
a esta universidad en la colina arriba de Harlem.

Soy el único estudiante de color en mi clase.
Los escalones de la colina llegan a Harlem
a través de un parque, luego paso San Nicolás,
la Octava Avenida, la Séptima, y llego a la Y,
la rama Y de Harlem, donde tomo el ascensor
a mi habitación, me siento y escribo esta página:

No es fácil saber lo que es verdad para usted o para mí
a los veintidós años, mi edad. Pero supongo soy
eso que siento, veo y escucho, Harlem, te escucho:
escúchate, escúchame - a los dos -, a ti, a mí, hablar en esta página.
(Yo también escucho a Nueva York.) ¿Yo... quién?
Bueno, me gusta comer, dormir, beber y estar enamorado.
Me gusta trabajar, leer, aprender y entender la vida.
Me gusta una pipa como regalo de Navidad,
o los discos: Bessie, bop, o Bach.
Supongo que ser de color no impide que me gusten
las mismas cosas que le gustan a la gente de otras razas.
¿Entonces mi página será coloreada por eso que escribo?

Siendo yo, no será blanca.
Pero será, sí
una parte de usted, profesor.
Usted es blanco -
Aún así, una parte de mí, como yo soy una parte de usted.
Eso es americano.
A veces, quizás, usted no quiere ser parte de mí.
Ni yo, a menudo, quiero ser parte de usted.
Pero lo somos, ¡eso es verdadero!
Como yo aprendo de usted,
Supongo que usted aprende de mí -
aunque usted sea mayor - y blanco -
y algo más libre.

Esta es mi página para Inglés B.

























Langston Hughes

Traducción de Mauricio Alejandro Moreno



domingo, marzo 29, 2020

Oración Para Una Noche De Invierno


Oh, Gran Dios del Frío y del Invierno,
Envuelve la tierra en una manta de hielo
Y congela a los pobres en sus camas.
A quienes el abrigo no alcanza
Para mantenerlos calientes,
Ni la comida, para mantenerlos fuertes...
Congélalos, Dios mío.
Permite a sus miembros caer rígidos
Y a sus corazones, dejar de latir.
Entonces mañana despertarán

En algún rico reino de ninguna parte
Donde la nada es el todo y

Todo es la nada.











Edvard Munch: Noche De Invierno













Langston Hughes

Traducción de Mauricio A. Moreno


sábado, marzo 28, 2020

Prayer For A Winter Night


O, Great God of Cold and Winter,
Wrap the earth in an icy blanket
And freeze the poor in their beds.
All those who haven't enough cover
To keep them warm,
Nor food enough to keep them strong—
Freeze, dear God.
Let their limbs grow stiff
And their hearts cease to beat,
Then tomorrow
They'll wake up in some rich kingdom of nowhere
Where nothingness is everything and
Everything is nothingness.












Edvard Munch: Winter Night













Langston Hughes


jueves, marzo 26, 2020

Clou, mi loco hermano, a ti te encerraron porque una noche...



Clou, mi loco hermano, a ti te encerraron porque una noche, desesperado, quisiste tirarte al agua. Desde entonces, Clou, hermano mío, te internaron para curarte, para quitarte el sabor del suicidio, para devolverte ese gusto de lo social que siempre debe ser rentable. Desde ese día, ese día cuando tomaron la decisión de encerrarte para supervisar los impulsos que te llevan al suicidio, desde ese día, ¡Clou mi hermano de locura, Clou el extraño, Clou el extranjero, Clou el perforado, Clou el perseguido, Clou el engañado, Clou el torturado, Clou el mutilado, Clou el inmenso! Desde ese día han intentado convertir tu suicidio sincero en un atroz cautiverio. Clou mi hermano, te salvaron de ahogarte con el indecible objetivo de levantar enormes empalizadas entre tú y la vida. Clou, mi hermano loco, estás encerrado en el universo de los campos de concentración, estás acorralado como una bestia rara. Clou, mi loco hermano: si te sientes desprendido de ese rebaño acorralado, aunque tu lana de oveja deba impregnarse de roja sangre y ser una mancha entre la trivialidad blanca de esos seres en blusas que ante nada se inclinan, entonces Clou, mi hermano loco, no seas tacaño con tu sangre, porque si con tu corazón persistes tercamente, bien podría ser que un día te transformes en un carnero cuyo manto púrpura y dorado sea un tributo pagado a cada Aurora.

Pero, Clou mi hermano loco, sé bien que la comparación con el ganado no terminará en el detalle sublime que mi ser, venido de fuera, proyectaba. Sé bien, Clou mi hermano loco, que un día en los mataderos, con la ayuda de píldoras, inyecciones y ondas eléctricas, acabarán por manejar tu carcasa todavía única.

Clou, mi loco hermano, aunque todo tu ser tenga miedo de esta muerte, sueña, sueña con tu capacidad instintiva que te lleva a rendir un homenaje siempre presente a las Auroras plenas e inusuales.














"Daniel Pons" & "Vincent Van Gogh" & "Pabellón de Palabras"

Vincent Van Gogh: La Noche Estrellada













Daniel Pons

Traducción de Mauricio Alejandro Moreno


miércoles, marzo 25, 2020

Clou, mi hermano loco, desde que vi tanta luz...



Clou, mi hermano loco, desde que vi tanta luz brillar en tu mirada fija comprendí por qué te habían internado; te internaron, Clou, mi hermano loco, porque querías bailar con tu alma. Clou, mi hermano loco, me gritaste un día: ¡existe!

Y en ese momento no sabía exactamente lo que querías decir. Pero después de separarnos, en el camino de regreso vi tu ser en plena luz aparecer ante mí y comprendí que la percepción de un alma como la tuya sólo podría llevar a aquellos que alienan la materia a encerrarte por discrepancia. Clou, mi hermano loco, tú eres el mártir, el despreciado, el rechazado, el torturado, el alienado, el prisionero de un exceso del que sufren los pesados fantasmas del exterior: un exceso de gravedad.















"Daniel Pons" & "Vincent Van Gogh" & "Pabellón de Palabras"

Vincent Van Gogh: El Patio de la Prisión















Daniel Pons

Traducción de Mauricio Alejandro Moreno


La Marcha


Camino hacia la sombra.
Voy hacia la ceniza mojada -fango de
la muerte...-, hacia la tierra.
Voy caminando y dejo atrás el cielo,
la luz, el amor... Todo lo que nunca fue mío.

Voy caminando en línea recta;
llevo las manos vacías, los labios sellados...
Y no es tarde, ni es pronto,
ni hay hora para mí.

El mundo me fue ancho o me fue estrecho.
La palabra no se me oyó o no la dije.
Ahora voy caminando hacia el polvo,
hacia el fin, por una recta
que es ciertamente la distancia
más corta entre dos puntos negros.

No he cogido una flor, no he tocado una piedra.
Y ahora me parece que lo pierdo
todo, como si todo fuera mío...

¡Y más que el sol que arde el día entero
sobre ella, la flor sentirá el frío
de no tener mi corazón que apenas tuvo!...

El mundo me fue estrecho o me fue ancho.
De un punto negro a otro
-negro también...- voy caminando...



























Dulce María Loynaz


martes, marzo 24, 2020

After Many Springs


Now,
In June,
When the night is a vast softness

Filled with blue stars,
And broken shafts of moon-glimmer
Fall upon the earth,
Am I too old to see the fairies dance?
I cannot find them any more























Langston Hughes


Theme For English B


The instructor said,

Go home and write
a page tonight.
And let that page come out of you—
Then, it will be true.

I wonder if it’s that simple?
I am twenty-two, colored, born in Winston-Salem.
I went to school there, then Durham, then here
to this college on the hill above Harlem.
I am the only colored student in my class.
The steps from the hill lead down into Harlem,
through a park, then I cross St. Nicholas,
Eighth Avenue, Seventh, and I come to the Y,
the Harlem Branch Y, where I take the elevator
up to my room, sit down, and write this page:

It’s not easy to know what is true for you or me
at twenty-two, my age. But I guess I’m what
I feel and see and hear, Harlem, I hear you:
hear you, hear me—we two—you, me, talk on this page.
(I hear New York, too.) Me—who?
Well, I like to eat, sleep, drink, and be in love.
I like to work, read, learn, and understand life.
I like a pipe for a Christmas present,
or records—Bessie, bop, or Bach.
I guess being colored doesn’t make me not like
the same things other folks like who are other races.
So will my page be colored that I write?

Being me, it will not be white.
But it will be
a part of you, instructor.
You are white—
yet a part of me, as I am a part of you.
That’s American.
Sometimes perhaps you don’t want to be a part of me.
Nor do I often want to be a part of you.
But we are, that’s true!
As I learn from you,
I guess you learn from me—
although you’re older—and white—
and somewhat more free.

This is my page for English B

























Langston Hughes


jueves, marzo 19, 2020

Creador, hermano mío, voy a pronunciar dos palabras...



Creador hermano mío, voy a pronunciar dos palabras: "biología" y "psicología", y yo que nunca juzgo, como un juez severo, juzgaré.



Primer acusado:


- La biología...

- ¿Cómo algunos seres vivos pudieron imaginar, a fuerza de pretensión, que podrían delimitar la vida con un microscopio?

Creador hermano mío, éste es mi veredicto:

- Condenados por falta de humildad y de dignidad.


Creador, hermano mío, no es a ti a quien voy a explicar mi  veredicto severo porque tú, que tienes un corazón que de verdad late, tú sabes que hace falta humildad para no alienar la vida en conceptos estériles y para estar realmente vivo.

Sí, Creador hermano mío, hace falta dignidad para poder superar las obsesiones de un intelecto que se cree sano, racional, cartesiano, y que de hecho, cuando se emplea solo, no es sino una máquina para tartamudear, una máquina para proyectar ondas enfermas, una máquina para promover a los enfermos. Los enfermos, Creador hermano mío, son los hombres de cerebro grande, porque a fuerza de proyectar sobre lo que llaman "materia", la convierten en una entidad amorfa, vacía y sin sentido.

¡Creador, hermano mío, me has entendido bien! No se juega impunemente con la tierra, y sin importar lo que puedan decir: LA VIDA ES. Creador hermano mío, cantemos, bailemos y burlémonos de ellos para que puedan inclinar su cabeza pretenciosa, vacía y amorfa, si en ellos queda una parcela de verdad viva. Para esperar, Creador hermano mío, que a pesar de todo, en su ser declinante quede aún un poco de humildad y de dignidad suficientes para desmentir sus ridículos y estériles conceptos. Y si lo hacen, Creador hermano mío, juntos y con todo nuestro corazón, diremos:

-¡Circunstancias atenuantes! ¡Circunstancias atenuantes!






Creador hermano mío, pasemos al segundo acusado:

-Psicología...

Tú, Creador hermano mío, rico en el don que te hizo Dios tu padre, tu genio, no puedes oír una palabra como "psicología" sin levantarte de repente y llamar a rendir cuentas a aquellos que han querido encerrar, en un concepto materialista y triste, la psique.

Porque, Creador hermano mío, percibir la primavera, el verano, el otoño y el invierno con una agudeza cada vez mayor demuestra que el alma, lejos de ser un concepto, es un parámetro en perpetuo movimiento en cuanto al verdadero y profundo sentimiento de la vida!

Y este sentimiento que brota del alma, Creador hermano mío, es infinito; porque el alma, aunque efímera, es una herramienta que sirve al humilde fenómeno para alcanzar en plena luz: el UNO.


Creador, hermano mío, éste es mi veredicto:

- Condeno a quienes han querido confinar el alma en un concepto estéril a tener una percepción plena de lo que es "morir para renacer".

Además, Creador hermano mío, espero con todo mi corazón que aquellos que se enfrenten a esta terrible prueba, elijan en el sufrimiento, a pesar del miedo, el camino que lleva a la Unidad.












"Daniel Pons" & "Edvard Munch" & "Pabellón de Palabras"

Edvard Munch: El Grito












Daniel Pons

Traducción de Mauricio Alejandro Moreno



miércoles, marzo 18, 2020

Creador hermano mío, el amor es algo inmenso...



Creador hermano mío, el amor es algo inmenso que supera con creces las normas que te quiere imponer el pequeño ser que en ti, a pesar de todo, permanece. Creador hermano mío, tú sabes muy bien que existen asesinatos sublimes: Creador hermano mío, para que el amanecer nazca verdaderamente en ti, mata a ese enano que roe y contamina tu sangre como la peste. Creador hermano mío, asegúrate de conservar los matices profundos de la púrpura amapola, para que tu sangre sea intachable al momento de vivir la plena aurora.












"Daniel Pons" & "Pabellón de Palabras"











Daniel Pons

Traducción de Mauricio Alejandro Moreno


sábado, febrero 22, 2020

Avant La Haine


Baiser je suis, ombre avec ombre
Baiser, douleur avec douleur,
d'être tombé amoureux,
cœur sans cœur,
des choses, de l'haleine
sans ombre de la Création.
Soif avec l'eau dans la distance,
mais soif tout autour.

Cœur dans une coupe
d'où je le bois, moi,
et personne ne le boit,
personne ne connaît son goût.
Haine, vie : toute cette haine
seulement par amour !

Il m'est impossible de te caresser
avec les mains que m'a données
le feu que je désire le plus,
l'envie d'une plus grande ardeur.
Plusieurs ailes, plusieurs vols
s'abattent en elles aujourd'hui,
fers qui enserrent les veines
et les mordent avec rancune.
Par amour, vie, abattu,
oiseau sans rémission.
Seulement par amour haï.
Seulement par amour.

Amour, ta voûte au-dessus
et moi toujours en dessous, amour,
sans autre lumière que cette avidité,
sans autre illumination.
Regarde-moi ici enchaîné,
craché, sans chaleur,
aux pieds de la ténèbre
la plus subite, la plus féroce,
mangeant le pain et le couteau,
seulement par amour.

Tout ce que signifie
hirondelles, ascension,
clarté, largeur, air,
espace volontaire, soleil,
horizon haletant,
enseveli dans un coin.
Espoir, mer, désert,
sang, mont errant :
libertés de mon âme
retentissantes de passion,
défilant sur mon corps,
où elles ne s'attardent pas, non,
mais par où elles se déploient,
seulement par amour.

Parce que dans la triste
guirlande du chaînon,
malgré le goût du geôlier,
permanent, et la saveur du poteau,
et du précipice qui guette,
grand, joyeux, libre, libre,
seulement par amour.

Non, il n'y a pas de prison pour l'homme.
Ils ne pourront pas m'attacher, non.
Ce monde plein de chaînes
m'est petit et étranger.
Qui enferme une sourire ?
Qui emmure une voix?
Au loin toi, plus seule
que la mort, que la solitude et moi.
Au loin toi, tu sens
dans tes bras ma prison : 
dans tes bras où bat
la liberté de nous deux.
Libre je suis. Sens-moi libre.
Seulement par amour.

















Miguel Hernández

Traduction de Sara Solivella Et Philippe Leignel