martes, noviembre 03, 2020

Poésie Noire Et Poésie Blanche


Comme la magie, la poésie est noire ou blanche, selon qu'elle sert le sous-humain ou le surhumain.

Ce sont les mêmes dispositions innées qui ordonnent la machinerie du poète blanc et du poète noir. Certains les appellent un don mystérieux, un sceau des puissances supérieures, d'autres une infirmité ou une malédiction. N'importe. Ou plutôt si! — il importerait fort, mais nous ne sommes pas encore devenus aptes à comprendre l'origine de nos structures essentielles. Qui les comprendrait s'en délivrerait. Le poète blanc cherche à comprendre sa nature de poète, à s'en libérer et à la faire servir. Le poète noir s'en sert et s'y asservit.

Mais qu'est-ce que ce « don » commun à tous poètes ? C'est une liaison particulière entre les diverses vies qui composent notre vie, telle que chaque manifestation d'une de ces vies n'en est plus seulement le signe exclusif, mais peut devenir, par une résonance intérieure, le signe de l'émotion qui est, à un moment donné, la couleur ou le son ou le goût de soi-même. Cette émotion centrale, profondément cachée en nous, ne vibre et ne brille qu'à de rares instants. Ces instants seront, pour le poète, ses moments poétiques, et toutes ses pensées et sensations et gestes et paroles, en un tel moment, seront les signes de l'émotion centrale. Et lorsque l'unité de leur signification se réalisera dans une image qui s'affirmera par des mots, c'est alors plus spécialement que nous dirons qu'il est poète. Voilà ce que nous appellerons « don poétique », faute d'en savoir plus long.

Le poète a une notion plus ou moins confuse de son don. Le poète noir l'exploite pour sa satisfaction personnelle. Il croit qu'il a le mérite de ce don, il croit que lui, il fait volontairement des poèmes. Ou bien, s'abandonnant au mécanisme des signi
fications résonnantes, il se vante d'être possédé par un esprit supérieur, qui l'aurait choisi comme son interprète. Dans les deux cas, le don poétique est au service de l'orgueil et de la fallacieuse imagination. Combineur ou inspiré, le poète noir se ment à lui-même et se croit quelqu'un. Orgueil, mensonge, — un troisième terme encore le caractérise : paresse. Non qu'il ne s'agite et peine, ou qu'il semble du dehors. Mais tout ce remuement se fait tout seul, il se garde même bien d'y intervenir lui-même, — ce lui-même pauvre et nu qui ne veut pas être vu ni se voir pauvre et nu, que chacun de nous s'efforce de cacher sous ses masques. C'est le « don » qui opère en lui, il en jouit comme un voyeur, sans se montrer, il s'en habille comme le bernard-l'hermite au ventre mou s'abrite et se pare de la coquille du murex, faite pour produire la pourpre royale et non pour revêtir des avortons honteux. Paresse de se voir, de se laisser voir, peur de n'avoir d'autre richesse que les responsabilités qu’on assume, c'est de cette paresse que je parle — ô mère de tous mes vices!

La poésie noire est féconde en prestiges comme le rêve et comme l'opium. Le poète noir goûte tous les plaisirs, se pare de tous les ornements, exerce tous les pouvoirs, — en imagination. Le poète blanc préfère aux riches mensonges le réel, même pauvre. Son œuvre, c'est une lutte incessante contre l'orgueil, l'imagination et la paresse. Acceptant son don, même s'il en souffre et souffre d'en souffrir, il cherche à le faire servir à des fins supérieures à ses désirs égoïstes, à la cause encore inconnue de ce don.

Je ne dirai pas : un tel est un poète blanc, un tel un poète noir. Ce serait, d'idées, tomber en opinions, en discussions et en erreur. Je ne dirai même pas : un tel a le don poétique, un tel ne l'a pas. L'ai-je ? Souvent j'en doute, parfois je crois en être sûr. Je n'en suis jamais certain une fois pour toutes. Chaque fois la question est nouvelle. Chaque fois que l'aube paraît, le mystère est là tout entier. Mais si je fus jadis poète, certaine ment je fus un poète noir, et si demain je dois être un poète, je veux être un poète blanc. De fait, toute poésie humaine est mêlée de blanc et de noir; mais l'une tend vers le blanc, l'autre vers le noir.

Celle qui tend vers le noir n'a pas d'effort à faire pour cela. Elle suit la pente naturelle et sous-humaine. On n'a pas à faire effort pour se vanter, pour rêver, se mentir et paresser; ni pour calculer et combiner, lorsque calculs et combinaisons sont au service de la vanité, de l'imagination, de l'inertie. Mais la poésie blanche va à contre-pente, elle remonte le courant, comme la truite, pour aller engendrer à la source vive. Elle tient tête, par force et par ruse, aux fantaisies des rapides et des remous, elle ne se laisse pas distraire par le chatoiement des bulles qui passent, ni emporter par le courant vers les douces vallées limoneuses.

Comment mène-t-il cette lutte, le poète qui veut devenir un poète blanc? Je dirai comment j'essaie de la mener, à mes rares meilleurs moments, afin qu'un jour, si je suis un poète, de ma poésie, si grise soit-elle, émane au moins un désir de blancheur.

Je distinguerai trois phases dans l'opération poétique : celle du germe lumineux, celle du vêtement d'images, et celle de l'expression verbale.

Tout poème naît d'un germe, d'abord obscur, qu'il faut rendre lumineux pour qu'il produise des fruits de lumière. Chez le poète noir, le germe reste obscur et produit d'aveugles végétations souterraines. Pour le faire briller, il faut faire silence, car ce germe, c'est la Chose-à-dire elle-même, l'émotion centrale qui à travers toute ma machine veut s'exprimer. La machine par elle-même est obscure, mais elle aime à se proclamer lumineuse, et parvient à le faire croire. Sitôt mise en branle par la poussée du germe, elle prétend agir pour son propre compte, pour s'exhiber, et pour le plaisir vicieux de chacun de ses leviers et de ses rouages. Silence donc, la machine! Fonctionne et tais toi! Silence aux jeux de mots, aux vers mémorisés, aux souvenirs fortuitement assemblés, silence à l'ambition, au désir de briller — car la lumière seule brille par elle-même —, silence à la flatterie de soi, à la pitié de soi, silence au coq qui croit faire lever le soleil! Et le silence écarte les ténèbres, le germe commence à luire, éclairant, non éclairé. Voilà ce qu'il faudrait faire. C'est très difficile, mais chaque petit effort reçoit en récompense une petite lueur de lumière. La Chose-à-dire apparaît alors, au plus intime de soi, comme une certitude éternelle, — connue, reconnue et espérée en même temps —, un point lumineux contenant l'immensité du désir d'être.

La deuxième phase, c'est l'habillement du germe lumineux, qui révèle mais n'est pas révélé, invisible comme la lumière et silencieux comme le son —, son habillement par les images qui le manifesteront. Là encore, il faut, passant en revue images, rejeter et enchaîner à leurs places celles qui ne veulent servir que la facilité, le mensonge et l'orgueil. Il y en a tant de belles, qu'on voudrait montrer! Mais, l'ordre fait, il faut laisser le germe lui-même choisir la plante ou l'animal dont il va se vêtir en lui donnant la vie.

Et vient, troisièmement, l'expression verbale, où comptent non plus seulement le travail intérieur, mais aussi la science et le savoir-faire extérieurs. Le germe a sa respiration propre. Son souffle s'empare des mécanismes de l'expression en leur communiquant sa cadence. Donc, que ces mécanismes soient d'abord bien huilés et juste assez détendus, afin qu'ils ne se mettent pas à danser leurs danses à eux, à scander des mètres incongrus. Et en même temps qu'elle plie les sons du langage à son souffle, la Chose-à-dire les astreint aussi à contenir ses images. Cette double opération, comment la fait-elle ? C'est cela le mystère. Ce n'est pas par combinaison intellectuelle : il y faudrait trop de temps; ni par instinct : l'instinct n'invente pas. Ce pouvoir s'exerce grâce à la liaison particulière qui existe entre les éléments de la machinerie du poète, et qui unit en une seule substance vivante les matières si différentes que sont les émotions, les images, les concepts et les sons. La vie de ce nouvel organisme, c'est le rythme du poète.

Le poète noir fait à peu près tout le contraire, bien que l'exacte semblance de ces opérations s'effectue en lui. Sa poésie lui ouvre de nombreux mondes, certes, mais des mondes sans Soleil, éclairés de cent lunes fantastiques, peuplés de fantômes, ornés de mirages et parfois pavés de bonnes intentions. La poésie blanche ouvre la porte d'un seul monde, de celui du seul Soleil, sans prestiges, réel.

J'ai dit ce qu'il faudrait faire pour devenir un poète blanc. Il s'en faut que j'y parvienne! Même dans la prose, dans la parole et l'écriture ordinaires, — comme dans tous les aspects de ma vie quotidienne —, tout ce que je produis est gris, pie, souillé, mêlé de lumière et de nuit. Alors, je reprends la lutte après coup. Je me relis. Parmi mes phrases, je vois des mots, des expressions, des parasites qui ne servent pas la Chose-à-dire ; une image qui a voulu être étrange, un calembour qui s'est cru drôle, une pédanterie d'un certain cuistre qui devrait bien rester assis à son bureau, au lieu de venir jouer du flageolet dans mon quatuor à cordes, — et, chose remarquable, du même coup c'est une faute de goût, de style ou même de syntaxe. La langue elle-même semble agencée pour me déceler les intrus. Peu de fautes sont de technique pure. Presque toutes sont mes fautes. Et je raie, et je corrige, avec la joie qu'on peut avoir à se couper du corps un morceau gangrené.




















(1941.) 



René Daumal


lunes, julio 20, 2020

Jactancia De Quietud



Escrituras de luz embisten la sombra, más prodigiosas que meteoros.
La alta ciudad inconocible arrecia sobre el campo.
Seguro de mi vida y de mi muerte, miro los ambiciosos y quisiera entenderlos.
Su día es ávido como el lazo en el aire.
Su noche es tregua de la ira en el hierro, pronto en acometer.
Hablan de humanidad.
Mi humanidad está en sentir que somos voces de una misma penuria.
Hablan de patria.
Mi patria es un latido de guitarra, unos retratos y una vieja espada,
la oración evidente del sauzal en los atardeceres.
El tiempo está viviéndome.
Más silencioso que mi sombra, cruzo el tropel de su levantada codicia.
Ellos son imprescindibles, únicos, merecedores del mañana.
Mi nombre es alguien y cualquiera.
Paso con lentitud, como quien viene de tan lejos que no espera llegar.













Pancorbo: Between Junk














Jorge Luis Borges


Despertar



Entra la luz y asciendo torpemente
de los sueños al sueño compartido
y las cosas recobran su debido
y esperado lugar y en el presente
converge abrumador y vasto el vago
ayer: las seculares migraciones
del pájaro y del hombre, las legiones
que el hierro destrozó, Roma y Cartago.


Vuelve también la cotidiana historia:
mi voz, mi rostro, mi temor, mi suerte.
¡Ah, si aquel otro despertar, la muerte,
me deparara un tiempo sin memoria
de mi nombre y de todo lo que he sido!
¡Ah, si en esa mañana hubiera olvido!








Pancorbo: La Playa Del Olvido








Jorge Luis Borges

martes, junio 23, 2020

Bleu De Lune


Quand j’aperçois ces bouts du monde et qu’à leur horizon rougeoie l’astre solaire disparaissant, je n’ai plus souvenir de moi. Mon esprit alors prend la fuite investissant les perspectives comme autant de lignes de choix et faisant fi des invectives semblant lui demander pourquoi empli l’espace environnant, comme si c’était la première fois qu’il appartenait au grand tout duquel il aurait fait son toit.


Quand j’aperçois les bleus de lunes que la mer offre à nos ébats et qu’alors nos corps s’envolutent de verts planctons luminescents troublant le calme de la brume d’un amour quasi indécent, je réalise combien l’écrin dans lequel est caché ton cœur est en tout point semblable au mien cherchant à conjurer ses peurs.


Quand j’aperçois ces bouts du monde et qu’a leur horizon flamboie l’astre solaire renaissant, je n’ai plus souvenir de toi, comme si la nuit avait gardé notre amour pour qu’il ne se noie. Je plonge alors dans les plaisirs et je renouvelle l’exploit d’aller demander à la lune qu’elle me croie une dernière fois et qu’elle te rende tout l’amour que j’avais de côté pour toi.











Julia Everett: Once in a Blue Moon











Zoufris Maracas





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Bleu De Lune




miércoles, junio 10, 2020

I, Too



I, too, sing America.

I am the darker brother.
They send me to eat in the kitchen
When company comes,
But I laugh,
And eat well,
And grow strong.

Tomorrow,
I'll be at the table
When company comes.
Nobody'll dare
Say to me,
"Eat in the kitchen," Then.

Besides,
They'll see how beautiful 
I am
And be ashamed — 

I, too, am America.






















Langston Hughes


viernes, mayo 08, 2020

Chienne De Vie


Ah chienne de vie, chienne de vie
Chienne de vie, chienne de vie
Mais par où me fais tu passer?
Chienne de vie, chienne de vie, chienne de vie
Moi qui n’avait rien demandé



Comme s’il fallait tout oublier
A chaque fois que tout s’effondre
Comme s’il fallait recommencer
Et surtout ne jamais confondre
Son présent avec son passé
Et puis courir jusqu’à la tombe
En faisant semblant qu’on est pressé
En slalommant entre les bombes
Celles qu’on à soi-même placées
Celles des autres, celles du monde
Qui finiront par explorer
Ce n’est qu’une question de secondes
Et l’angle dans l’quel on est placé


Ah, chienne de vie, chienne de vie
Chienne de vie, chienne de vie
Mais par où me fais tu passer?
Chienne de vie, chienne de vie, chienne de vie
Moi qui n’avait rien demandé


Comme s’il fallait s’immuniser
Pour à nouveau pouvoir se fondre
Dans la masse des civilisés
Dans laquelle les cons abondent
Les cons aigris, les cons grisés
Les cons vernis, les cons frisés
Les cons groguis, les cons rasés
Et un con à chaque seconde
Une nouvelle variété
Qu’il nous faudrait apprivoiser


Ah, chienne de vie, chienne de vie
Chienne de vie, chienne de vie
Mais par où me fais tu passer?
Chienne de vie, chienne de vie, chienne de vie
Moi qui n’avait rien demandé


Comme s’il fallait laisser glisser
Tous ces sentiments qui nous plombent
Comme s’il fallait les effacer
Alors qu’on a le cœur qui gronde
Et qu’on voit bien qu’il est blessé
Même si on a d’jà trouvé la blonde
Qui nous permettrait d’oublier
La profondeur à laquelle, ah


Ah, chienne de vie, chienne de vie
Chienne de vie, chienne de vie
Mais par où me fais tu passer?
Chienne de vie, chienne de vie, chienne de vie
Moi qui n’avait rien demandé


Comme s’il fallait tout essayer
Toutes celles qui passent sur la route
Et toutes les déshabiller
Pour s’économiser du doute
Qu’on aurait voulu y goûter
Juste un petit peu juste quelques gouttes
Pas trop pour pas s’habituer
Assez pour fracasser son couple


Ah, chienne de vie, chienne de vie
Chienne de vie, chienne de vie
Mais par où me fais tu passer?
Chienne de vie, chienne de vie, chienne de vie
Moi qui n’avait rien demandé



















Zoufris Maracas





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Chienne De Vie

jueves, mayo 07, 2020

Song


Lovely, dark, and lonely one,
Bare your bosom to the sun.
Do not be afraid of light,
You who are a child of night.


Open wide your arms to life,
Whirl in the wind of pain and strife,
Face the wall with the dark closed gate,
Beat with bare, brownfists—
And wait.























Langston Hughes


Dream Variations


To fling my arms wide
In some place of the sun,
To whirl and to dance
Till the white day is done.

Then rest at cool evening
Beneath a tall tree
While night comes on gently,
       Dark like me
That is my dream! 


To fling my arms wide
In the face of the sun,
Dance! Whirl! Whirl!
Till the quick day is done.
Rest at pale evening . . .
A tall, slim tree . . .
Night coming tenderly
       Black like me.










Abner Recinos: Flight of Icarus 











Langston Hughes


lunes, mayo 04, 2020

Sa Majesté La Mer


Aux premières notes que j'ai jouées
À vous sa majesté la mer
Aux vagues venues se briser depuis l'autre bout de la terre
J'aurai mille questions à poser vous qui avez croisé les hivers
Qui n'sont pas encore arrivés du côté de mon hémisphère
Du côté de mon hémisphère


Aux prochaines notes que je jouerai à vous sa majesté la mer
Aux vagues qui viendront m'enlever le dernier petit goût amer
Que j'aurai au fond du gosier quand j'dirai adieu à ma mère
J'aurai mille questions à poser vous qui avez parlé aux rivières

Qui avez roulé tant de rochers et écumé tant de misères


Vous qui avez fait tant de noyés des enfants qui fuyaient la guerre
Que des salauds avaient armés pour faire fleurir leurs p'tites affaires

J'aurai mille questions à poser à vous sa majesté la mer 
Devant autant d'absurdité et au nom du grand univers
Ne pourriez-vous pas pour une fois, couler ces yachts de milliardaires
Plutôt qu'ces p'tits radeaux en bois où entassés rêvent mes frères?
Plutôt qu'ces p'tits radeaux en bois où entassés rêvent mes frères?



Aux dernières notes que je jouerai à vous sa majesté la mer 
À ma dernière tasse d'eau salée, à ma dernière bouffée d'air 
À la vague qui aura raison de mon envie de résister 
Et au nom du grand univers devant autant d'absurdité
Je voudrais retrouver la paix et pour finir me laisser faire
Je voudrais retrouver la paix et pour finir vous laisser faire
Et enfin me laisser aller à vos bras majesté la mer
Et enfin me laisser couler sans papiers majesté la mer 






















Zoufris Maracas







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Sa Majesté La Mer




sábado, mayo 02, 2020

El arte no es una alegría solitaria...

Discurso de aceptación del Premio Nobel, 1957


Señor, Señora, Altezas Reales, Damas y Caballeros,



Al recibir la distinción con la cual su libre Academia ha querido honrarme, mi gratitud se profundiza cuando constato que esa recompensa sobrepasa de lejos mis méritos personales. Todo hombre, y con mayor razón todo artista, desea ser reconocido. Yo también lo deseo. Pero al conocer su decisión me fue imposible no contrastar este honor con lo que realmente soy. ¿Cómo un hombre casi joven, rico sólo en dudas, con una obra todavía en construcción, habituado a vivir en la soledad del trabajo o en el repliegue de la amistad, podría recibir, sin una especie de pánico, un galardón que le coloca de pronto, solo y reducido a sí mismo, en el centro de una cruda luz? ¿Con qué ánimo podría recibir este honor mientras en Europa otros escritores, de entre los más grandes, son reducidos al silencio y mientras su tierra natal conoce una desdicha incesante?


Sentí en mí ese desconcierto y ese malestar. Para recobrar mi paz interior me fue necesario, en resumen, ponerme en regla con un destino demasiado generoso. Y como fue imposible hacerlo con el único apoyo de mis méritos, no hallé nada que viniera en mi ayuda sino es aquello que ha sido mi sostén a lo largo de la vida y en las circunstancias más opuestas: la concepción que tengo de mi arte y de la misión del escritor. Tan sólo permítanme que, en prueba de reconocimiento y amistad, les describa esta concepción de la forma más simple que pueda.


Personalmente, no puedo vivir sin mi arte. Pero jamás he puesto ese arte por encima de todo. Al contrario, si algo necesito de él es que no me separe de nadie y que me permita vivir tal como soy, a la par de todos. A mi ver, el arte no es una alegría solitaria. El arte conmueve a un gran número de personas al ofrecer una imagen privilegiada de los dolores y de las alegrías comunes. Obliga así al artista a no aislarse; lo somete a la más humilde y a la más universal de las verdades. Y esos que muchas veces eligieron un destino de artistas porque se sentían diferentes, pronto se dan cuenta de que no podrán nutrir su arte ni su diferencia si no admiten su semejanza con todos. El artista se forja en este perpetuo ir y venir de sí mismo hacia los demás, equidistante entre la belleza, sin la cual no puede vivir, y la comunidad, de la cual no puede desprenderse. Por eso, los verdaderos artistas nada menosprecian; se obligan a comprender en lugar de juzgar. Y si tienen un partido a tomar en este mundo, sólo puede ser ese de una sociedad en la cual, según la gran frase de Nietzsche, no ha de reinar el juez sino el creador, sea éste trabajador o intelectual.


Así, el papel de escritor es inseparable de duros deberes. Por definición, no puede ponerse al servicio de quienes hacen la historia, sino al servicio de quienes la sufren. De otro modo, quedaría solo, privado hasta de su arte. Todos los ejércitos de la tiranía, con sus millones de hombres, no lo apartarán de la soledad, incluso (y especialmente) si él consiente en adoptar su marcha. Pero el silencio de un prisionero desconocido, abandonado a las humillaciones en el otro extremo del mundo, basta para sacar al escritor de su exilio cada vez que él logre, como mínimo, entre los privilegios de su libertad, no olvidar ese silencio y, transmitirlo, para hacerlo resonar con los recursos del arte.


Nadie es lo bastante grande para semejante vocación. Sin embargo, en todas las circunstancias de su vida, desconocido o provisionalmente célebre, arrojado a las cadenas de la tiranía o libre a ratos para expresarse, el escritor puede tener el presentimiento de una comunidad viva que lo justificará, con la sola condición de que acepte, tanto como pueda, las dos responsabilidades que constituyen la grandeza de su oficio: el servicio a la verdad, y el servicio a la libertad. Y puesto que su vocación consiste en reunir al mayor número posible de personas, él no puede acomodarse a la mentira ni a la servidumbre que, donde reinan, hacen proliferar las soledades. Cualesquiera que sean nuestras flaquezas personales, la nobleza de nuestro oficio se arraigará siempre en dos compromisos difíciles de mantener: la negativa a mentir sobre lo que sabemos y la resistencia ante la opresión.


Durante más de veinte años de historia demencial perdido y sin ayuda, como todos los hombres de mi edad, en las convulsiones de este tiempo, sólo me sostuvo el sentimiento hondo de que escribir hoy era un honor, porque ese acto obligaba, y obligaba a algo más que a escribir. Me obligaba en particular, tal como yo era y según mis fuerzas, a llevar la desgracia y la esperanza que compartía con todos aquellos que vivían la misma historia. Esos hombres, nacidos al principio de la primera guerra mundial, que tenían veinte años en la época del establecimiento, al mismo tiempo, del poder hitleriano y de los primeros procesos revolucionarios, y que en seguida se vieron enfrentados, para completar su educación, a la guerra de España, a la segunda guerra mundial, al universo de los campos de concentración, a la Europa de la tortura y de las prisiones, se ven hoy obligados a elevar a sus hijos y a sus obras en un mundo amenazado de destrucción nuclear. Yo supongo que nadie puede pedirles que sean optimistas. Incluso pienso que debemos comprender, sin abandonar la lucha contra ellos, el error de aquellos quienes, en una escalada de desesperación, reivindicaron el derecho al deshonor y se lanzaron a los nihilismos de la época. Sin embargo la mayoría de nosotros, en mi país y en Europa, rechazó ese nihilismo y se dio a la búsqueda de una legitimidad. Precisó forjarse un arte de vivir en tiempos de catástrofe, a fin de nacer una segunda vez y de luchar luego, con la cara al descubierto, contra el instinto de muerte que opera en nuestra historia.


Cada generación, sin duda, se cree destinada a rehacer el mundo. La mía sabe, sin embargo, que no lo hará. Pero su deber es quizás mayor: consiste en impedir que el mundo se deshaga. Heredera de una historia corrompida, en la cual se mezclan revoluciones caídas, técnicas enloquecidas, dioses muertos, e ideologías agotadas; en la cual poderes mediocres pueden hoy todo destruir pero ya no convencer; en la cual la inteligencia se rebajó a prestar servicio al odio y a la opresión; dicha generación tuvo que restituir, en sí misma y en torno a ella, y a partir únicamente de sus negaciones, algo de dignidad a la vida y a la muerte. Ante un mundo que amenaza desintegrarse, donde nuestros grandes inquisidores corren el riesgo de establecer para siempre los reinos de la muerte, ella sabe que debería, en una especie de contrareloj demencial, restaurar entre las naciones una paz que no sea esa de la servidumbre, reconciliar de nuevo el trabajo y la cultura, y reconstruir con todos los hombres una nueva Arca de la Alianza. No es seguro que esta generación pueda al fin cumplir esa labor inmensa, pero sí es cierto que en el mundo entero ya tiene hecha, y la mantiene, su doble apuesta en favor de la verdad y de la libertad y que, llegado el momento, sabe morir sin odio por ella. Es esta generación la que debe ser saludada y alentada dondequiera que se halle y, sobre todo, allí donde se sacrifica. Es sobre ella, seguro de su profunda aprobación, que yo quisiera reposar el honor que acaban de hacerme.


Al mismo tiempo, después de exponer la nobleza del oficio de escribir, me gustaría situar al escritor en su verdadero lugar, sin otros títulos que los que comparte con sus compañeros de lucha, vulnerable pero terco, injusto y enamorado de la justicia, construyendo su obra sin vergüenza ni orgullo a la vista de todos, sin cesar repartido entre el dolor y la belleza; dedicado en fin a extraer de su ser dual las creaciones que busca edificar, obstinadamente, en el movimiento destructor de la historia. ¿Quién, después de todo esto, podría esperar de él soluciones ya hechas, y una bella moral? La verdad es misteriosa, huidiza, por siempre a conquistar. La libertad es peligrosa, tan penosa como exaltante. Nos es necesario avanzar hacia esos dos objetivos de manera ardua, pero resuelta, seguros de antemano de nuestros desfallecimientos sobre tan larga ruta. ¿Qué escritor osaría, con la conciencia tranquila, oficiar como predicador de virtud? En cuanto a mí, debo decir una vez más que no soy nada de eso. Jamás pude renunciar a la luz, a la dicha de ser, a la vida libre de donde crecí. Y aunque esta nostalgia explica muchos de mis errores y de mis faltas, ella me ayudó, sin duda, a comprender mejor mi oficio y todavía ahora me ayuda a resistir, ciegamente, al lado de todos esos hombres silenciosos que no sobrellevan la vida que les fue dada, en este mundo, sino es por el recuerdo o el retorno de breves y libres alegrías. 


Así, de vuelta a eso que realmente soy, a mis límites, a mis deudas y también a mi difícil fe, me siento más libre al mostrarles, para finalizar, la magnitud y la generosidad de la distinción que acaban de concederme, más libre también para decirles que quisiera recibirla como homenaje rendido a quienes, participando en el mismo combate, no recibieron ningún privilegio sino que supieron, al contrario, de desgracias y de persecuciones. Sólo me queda agradecerles desde el fondo del corazón y formularles públicamente, como testimonio personal de gratitud, la misma y antigua promesa de fidelidad que cada verdadero artista, cada día, se hace a sí mismo, en silencio.












                          















Albert Camus

Traducción de Mauricio Alejandro Moreno


jueves, abril 30, 2020

À Ma Mère


J'ai la nostalgie du pain de ma mère,
Du café de ma mère,
Des caresses de ma mère...
Et l'enfance grandit en moi,
Jour après jour,
Et je chéris ma vie, car
Si je mourais,

J'aurais honte des larmes de ma mère !


Fais de moi, si je rentre un jour,
Une ombrelle pour tes paupières.
Recouvre mes os de cette herbe
Baptisée sous tes talons innocents.
Attache-moi
Avec une mèche de tes cheveux,
Un fil qui pend à l'ourlet de ta robe...
Et je serai, peut-être, un dieu,
Peut-être un dieu,
Si j'effleurais ton coeur !


Si je rentre, enfouis-moi,
Bûche, dans ton âtre.
Et suspends-moi,
Corde à linge, sur le toit de ta maison.
Je ne tiens pas debout
Sans ta prière du jour.
J'ai vieilli. Ramène les étoiles de l'enfance
Et je partagerai avec les petits des oiseaux,
Le chemin du retour...
Au nid de ton attente !






















Mahmoud Darwish

Traduction de Elias Sanbar







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Lien à l'interprétation du poème par Marcel Khalife:

Ommi


lunes, abril 27, 2020

Lengua De Invocación


Hilos de la palabra cantada
                          me convocan esta noche.
Se abren por los caminos
y me trazan su geometría de nostalgias.

Vuelan de la mano del tiempo
con un sonido aéreo 
sobre el rumor de las hojas.
Se encienden en mi voz
y crecen como frutos en mi garganta.

Resonancias, 
                    lenguas de mis ancestros,
hoy hablen por mí: 
                                    las invoco. 

Derramen su marejada de sueños
             sobre la vertiente de mis ríos.

Con las pulsaciones del viento
empujen el pregón mis pasos.

Resonancias, 
                    lenguas de mis ancestros,
resurjan de la savia como la semilla naciente
bajo el follaje de la tierra. 

¡Fecunden el polen de mis días!


















Ashanti Dina Orozco


La Vida De Los Muertos


Ayer, un Tata Nganga me dijo:
los muertos nacen de las cuatro estaciones con el enigma de la existencia.
Nunca mueren: sólo funden su rumor de aliento con la 
tierra.
Cuando reencarnan son espejo líquido de nosotros mismos:
palpamos el patakí de sus vidas.


Cuando trabajan en el corazón de la manigua
se vuelven tejido de nidos, brazos de musgo y manglar
sobre el mar de los inicios.
Sus rostros se nos cincelan en las manos
untados de lodo, arcilla y estruendo.


Cuando deambulan, se vuelven habitantes
de las estrellas, pasajeros del aire.
Esa es su forma de quedarse a vivir
en el canto del ave.


Vienen desde el ayer a contemplarnos.
Como un coro de abejas surcan la curvatura de la retina.
Un misterio de luna orbitando en sus miradas
nos descifra el pensamiento.
Son los narradores invisibles de nuestros sueños.
Murmuran en concierto de imágenes
que se hacen idea y verbo.


Nos trazan canales en el cuerpo,
bosques de nostalgias, fragmentos sonoros
donde cabe el peso de nuestra memoria.


Son lluvias marcando el compás de los días.
Si los escuchamos sentimos una percusión
galopar las colinas de nuestra lengua.
La artillería de una fuerza en la médula del alma.


Los ofrendamos con frutas y flores.
De ellos es el pan recién horneado,
el café de la tarde, el agua de azúcar al caer el día.


Sílaba a sílaba, invocarlos con el bálsamo de los rezos.
Cantarles con la sangre de nuestros animales,
hoguera de versos que alumbra sus ausencias.


Soplamos ron y nos profetizan
palabras liberadas del cepo y del látigo.


¡Que a nuestros pies descienda la voz de los muertos!
¡Que nuestros dedos palpen el tambor de su tempestad!
¡Que bailen con nosotros al son de la melodía más antigua!


















Ashanti Dina Orozco