domingo, noviembre 11, 2018

Vol


Seul celui qui aime vole. Mais qui aime au point
d'être comme l'oiseau le plus léger et le plus fugitif ?
S'enfonçant va cette haine qui règne sur tout ce qui

voudrait remonter par lui-même directement en vie.

Aimer... Mais qui aime ? Voler... Mais qui vole ?
Je conquerrai le bleu avide de plumage,
mais l'amour, toujours en bas, se désole
de ne pas trouver le ailes qu'un certain courage donne.

Un être ardent, clair en désirs, ailé,
voulut monter, avoir la liberté pour nid.
Il voulut oublier que l'homme s'en éloigne enchaîné.
Où il manquait des plumes, il mit courage et oubli.

Il allait si haut parfois, que resplendissaient
sur sa peau le ciel, sous sa peau l'oiseau.
Être qui te confondis un jour avec une alouette,
tu t'abattis un autre jour comme la grave grêle.

Tu sais déjà que les vies des autres sont des dalles
avec lesquelles t'emmurer : des prisons avec lesquelles avaler la tienne.
Passe, vie, entre les corps, entre les superbes grilles.
À travers les grilles, que le sang libre afflue.

Triste instrument joyeux de se vêtir ;
tuyau qui nos force à convoiter et à respirer le feu.
Épée dévorée par un usage constant.
Corps dans l'horizon fermé duquel je me déploie.

Tu ne voleras pas. Tu ne peux pas voler, corps qui erres
à travers ces galeries où l'air est mon nœud.
Plus tu te débats pour monter, plus tu fais naufrage.
Tu ne hurleras pas. Le champ continue désert et muet.

Les bras ne battent pas des ailes. Ils sont à peine une queue
que le cœur voudrait lancer au firmament.
Le sang s'attriste à force de se débattre seul.
Les yeux deviennent tristes à force de méconnaître.

Chaque ville, endormie, se réveille folle, exhale
un silence de prison, de songe qui brûle et pleut
comme un élytre enroué de ne pas pouvoir être aile.
L'homme gît. Le ciel s'élève. L'air bouge.















Miguel Hernández

Traduction de Sara Solivella et Philippe Leigne


L'Art D'Aimer


Avec la coupe sertie d’azur,
Attends-la
Auprès du bassin, des fleurs du chèvrefeuille et du soir,
Attends-la
Avec la patience du cheval sellé pour les sentiers de montagne,
Attends-la
Avec le bon goût du prince raffiné et beau,
Attends-la
Avec sept coussins remplis de nuées légères,
Attends-la
Avec le feu de l’encens féminin omniprésent,
Attends-la
Avec le parfum masculin du santal drapant le dos des chevaux,
Attends-la
Et ne t’impatiente pas. Si elle arrivait après son heure,
Attends-la
Et si elle arrivait, avant,
Attends-la
Et n’effraye pas l’oiseau posé sur ses nattes,
Et attends-la
Qu’elle prenne place, apaisée, comme le jardin à sa pleine floraison,
Et attends-la
Qu’elle respire cet air étranger à son cœur,
Et attends-la
Qu’elle soulève sa robe qu’apparaissent ses jambes, nuage après nuage,
Et attends-la
Et mène-la à une fenêtre qu’elle voit une lune noyée dans le lait,
Et attends-la
Et offre-lui l’eau avant le vin et
Ne regarde pas la paire de perdrix sommeillant sur sa poitrine,
Et attends-la
Et comme si tu la délestais du fardeau de la rosée,
Effleure doucement sa main lorsque
Tu poseras la coupe sur le marbre,
Et attends-la
Et converse avec elle, comme la flûte avec la corde craintive du violon,
Comme si vous étiez les deux témoins de ce que vous réserve un lendemain,
Et attends-la
Et polis sa nuit, bague après bague,
Et attends-la
Jusqu’à ce que la nuit te dise :
Il ne reste plus que vous deux au monde.
Alors porte-la avec douceur vers ta mort désirée
Et attends-la!...













Mahmoud Darwish

Traduction : Elias Sanbar




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Lien vers L'Art D'Aimer sur le fond du Trio Joubran:





viernes, noviembre 09, 2018

Le Joueur De Dés


Qui suis-je pour vous dire
Ce que je suis en train de vous dire ?
Moi qui ne suis pas un galet que les eaux ont tellement poli
Qu'il est devenu une figure
Ni un roseau que les vents ont tellement percé
Qu'il est devenu une flûte…

Je suis le joueur de dés
Tantôt je gagne, tantôt je perds
Je suis comme vous
Ou un peu moins...

Je suis né à côté du puits
Et des trois arbres solitaires comme des nonnes
Je suis né sans cérémonial ni sage-femme
Et l’on a choisi mon nom par hasard
J’ai appartenu à une famille par hasard
J’en ai hérité les traits, les qualités
Et les maladies :

Premièrement - une malformation au niveau des artères
Et l’hypertension
Deuxièmement - la timidité à m’adresser à père, à mère
Et à la grand-mère - l'arbre
Troisièmement - l’espoir de soigner la grippe
Avec un verre de camomille bien chaud
Quatrièmement - une paresse à parler du faon et de l’alouette
Cinquièmement - une lassitude les nuits d’hiver
Sixièmement - un flagrant échec à chanter

Je n’ai aucun mérite dans ce que je fus
C’est un hasard que je sois né garçon
Par hasard, j’ai vu le croissant, pâle comme un citron
Harcelant les jeunes filles qui veillent
Je n’ai fait aucun effort pour trouver
Une tache de vin à l’endroit le plus intime de mon corps

J’aurais pu ne pas être
Mon père aurait pu ne pas avoir
Épousé ma mère par hasard
J’aurais pu être comme ma sœur
Qui cria puis mourut
Sans s'être aperçue
D’avoir vu le jour pour une heure de temps
Et de pas avoir connu sa mère

Ou alors être comme
Les œufs d’un pigeon qui se sont cassés
Avant de sortir de leur calcaire

C’est un hasard que je sois
Le survivant de l’accident du bus
J’étais alors en retard pour la navette scolaire
Parce que j’avais oublié l’existence et ses conditions
Lorsque le soir je lisais une histoire d’amour
J’y incarnais le rôle de l’auteur
Et celui de l’amant-victime
J’étais alors le martyr de l’amour dans le roman
Et le survivant de l’accident de circulation.

Je n’ai pas de mérite dans la plaisanterie avec la mer
Mais j’étais un garçon écervelé
Amateur de vagabondage dans l’attraction d’une eau
Qui m’appelait : Viens auprès de moi
Je n’ai aucun mérite à avoir été sauvé de la mer
Un albatros humain m’avait secouru
Ayant vu la mer qui me poursuivait et paralysait mes bras

J’aurais pu ne pas être follement
Épris du poème mural
Si la porte d’entrée orientée plein nord
Ne donnait pas sur la mer
Si la patrouille militaire n’avait pas vu le feu du village
Cuisant le pain de la nuit
Si quinze martyrs
Avaient reconstruit les barricades
Si cet espace agricole n’avait pas été brisé
Peut-être serais-je devenu olivier
Ou professeur de géographie
Ou spécialiste du royaume des fourmis
Ou gardien de l’écho

Qui suis-je pour vous dire
Ce que je suis en train de vous dire ?
À la porte de l’église
Moi qui ne suis que le coup de dés
Du prédateur et de la proie
J’ai gagné davantage d’éveil
Non pas pour être heureux d’un clair de lune
Mais pour être témoin du massacre

J’ai survécu par hasard : j’étais plus petit qu’un objectif militaire
Et plus grand qu’une abeille butinant entre les fleurs de la clôture
Et j’ai eu très peur pour mes frères et pour mon père
Et j’ai eu peur pour ce temps tout en verre
Et j’ai eu peur pour mon chat, pour mon lapin
Et pour une lune charmante au-dessus du grand minaret
J’ai eu peur pour les raisins de la treille
Qui pendent comme les mamelles de notre chienne

La peur me porta et je l’ai portée
Pieds nus, ayant oublié les souvenirs de ce que je voulais
Du lendemain – il n’y a pas de temps pour le lendemain-

Je marche/ Je trotte/ Je cours/ Je monte/ Je descends
/
Je crie/ J’aboie/ Je hurle/ J’appelle/ Je braille/
Je me hâte/ Je tombe/ Je m’allège/ Je sèche/ Je vole/
Je vois/ Je ne vois pas/Je trébuche/
Je jaunis/ Je verdis/ Je bleuis/
Je me mutine/ Je larmoie/ J’ai soif/ Je me fatigue/
Je m’épuise/ Je tombe/ Je me relève/
Je cours/ J’oublie/ Je vois/ Je ne vois pas/
Je me souviens/ J’entends/ Je vois/ Je délire/
J’hallucine/ Je murmure/ Je crie/
Je ne peux pas/ Je gémis/ Je deviens fou/ Je me perds/
Je m’amoindris/ Et je me multiplie/ Je tombe/ Je m’élève/
Et je descends/ Je saigne/et Je m’évanouis.

Par chance, les loups avaient disparus de l’endroit
Par hasard ou alors par crainte des soldats

Je n’ai pas joué de rôle dans ma vie
Autre que celui
De lui avoir dit : encore
Lorsqu’elle m’a appris ses psalmodies
D’avoir allumé ses lampes
Et d’avoir essayé de les régler

J’aurais pu ne pas être une hirondelle
Si le vent l’avait voulu
Ce vent qui est la chance du voyageur…
J’ai pris la direction du Nord, de l’Est, de l’Ouest
Quant au Sud, il était trop loin, trop ardu pour moi
Parce que le Sud est mon pays
Alors je suis devenu métaphore d’une hirondelle
pour voler au-dessus de mes débris
Printemps comme automne…
Je baptise mes plumes avec la nuée d’un lac
Et je fais un long ave
Au Nazaréen qui ne meurt pas
Parce qu’il porte le souffle de Dieu
Ce Dieu qui est la chance du prophète…

Et j’ai la chance d’être voisin de la divinité…

Par malchance, la croix
Est l’éternelle échelle vers notre lendemain !

Qui suis-je pour vous dire
Ce que je suis en train de vous dire
Qui suis-je ?

L’inspiration aurait pu ne pas être de mon côté
Cette inspiration qui est la chance des solitaires
Le poème est un coup de dés
Sur un plateau d’obscurité
Qui peut rayonner ou ne pas rayonner
La parole tombe alors
Comme plumes sur le sable

Je n’ai pas de rôle dans le poème
Autre que de m’incliner à son rythme :
Le mouvement des sensations s’accordant l’une l’autre
Une intuition révélant un sens
Une syncope dans l’écho des mots
Une image de moi-même qui est passée
À son alter ego
L’assurance que j’ai à l’égard de moi-même
Et ma nostalgie pour la source

Je n’ai pas de rôle dans le poème
Sauf lorsque l’inspiration tarit
Cette inspiration qui est la chance
du savoir-faire lorsqu’il innove

J’aurais pu ne pas aimer la jeune fille qui
M’a demandé : « quelle heure est-il ? »
Si je n’avais pas été sur le chemin du cinéma…
Elle aurait pu ne pas être la métisse
Qu’elle est, ou être une pensée sombre et hermétique…

C’est ainsi que naissent les mots. 
J’entraîne mon cœur
À aimer afin qu’il puisse contenir la rose et l’épine…

Mes mots sont mystiques et mes désirs sensoriels
Et je ne suis pas celui que je suis maintenant
Sauf lorsque mes deux « moi » se rencontrent :
Mon moi féminin et moi-même

O amour ! qu’es-tu ? Comme tu es toi-même
Sans être toi-même ! O amour ! Souffle sur nous
En tempêtes orageuses afin que nous parvenions
À cette incarnation du céleste dans le charnel à quoi tu nous destines
Et infiltre-toi dans un versant débordant des deux côtés
Car – que tu te manifestes ou que tu te dissimules-
Tu n’as pas de forme
Et nous t'aimons lorsque nous aimons par hasard
Tu es la chance des pauvres gens

Par malchance, j’ai échappé maintes fois
À la mort par amour
Par chance, je suis encore assez frêle
Pour mener l’expérience !

L’amoureux expérimenté se dit à part soi :
C’est l’amour qui est notre mensonge vrai
Et l’amoureuse qui l’entend
De répondre : c’est l’amour, il va et vient
Comme l’éclair et la foudre

À la vie, je dis : patience, attends-moi
Jusqu’à ce que la lie sèche dans ma coupe.
Il y a dans le jardin des roses répandues et l’air
Ne peut échapper à la rose.
Attends-moi afin que les rossignols ne me fuient pas
Car je risquerais alors de faire une fausse note
Sur la place, l’orchestre accorde ses instruments
Pour l’hymne de l’adieu.
Patience ! Tiens-moi par la taille afin que l’hymne ne soit pas
trop long ce qui romprait le rythme entre des stances
Qui sont paires alors que la clausule est impaire :
Vive la vie !
Doucement, étreins-moi afin que le vent ne m’éparpille pas
Même au-dessus du vent, je ne peux me détacher
De l’alphabet

Si je n’étais pas debout sur une montagne
Ce minaret de l’aigle m’aurait fait plaisir : aucune lumière plus haut !
Mais une gloire comme celle qui est couronnée d’un or bleu infini
Est difficile à visiter : le solitaire y demeure solitaire
Et ne peut descendre à pied
Car l’aigle ne marche pas
Ni l’homme ne vole
O cime semblable au précipice
O toi isolement élevé de la montagne !

Je n’ai aucun rôle dans ce que je fus
Ni dans ce que je serai ….
C’est la chance. Et la chance n’a pas de nom
On pourrait l’appeler forgeron de nos destinées
Facteur du ciel
Menuisier du berceau pour nouveau-né et du cercueil pour le regretté
On pourrait l’appeler domestique des dieux dans une mythologie
Où nous leur aurions écrit les textes
Avant de nous cacher derrière l’Olympe…

Les marchands de poteries affamés les ont crus
Et nous avons été démentis par les seigneurs de l’or
À la panse bien pleine par malchance pour l’auteur,
C’est la fiction qui est réaliste sur les scènes du théâtre

Derrière les coulisses, les choses sont différentes
La question n’est pas : quand ?
Mais plutôt : pourquoi ? comment ? et qui ?

Qui suis-je pour vous dire
Ce que je suis en train de vous dire ?

J’aurais pu ne pas exister,
La caravane aurait pu tomber
Dans une embuscade et la famille aurait perdu un garçon,
Même qui écrit maintenant ce poème
Lettre après lettre, saignement après saignement
Sur ce canapé avec du sang de couleur noire
Qui n’est ni l’encre du corbeau, ni sa voix
Mais plutôt un concentré de toute la nuit
Goutte à goutte, avec la main chanceuse et géniale

La poésie aurait pu gagner davantage si
Quelqu'un d'autre que lui avait été la huppe
Au-dessus du cratère du précipice
Peut-être a-t-il dit : si j’étais un autre
Je serais devenu moi-même une autre fois

C’est ainsi que je ruse : Narcisse n’était pas beau
Comme il l’avait cru. Mais ceux qui l’ont fabriqué
L’ont piégé dans son miroir. Et il contempla longuement
L’air distillé dans l’eau…

S’il avait pu voir quelqu’un d’autre
Il aurait aimé une jeune fille qui le scrutait du regard,
Oubliant les rennes trottant entre tulipes et coquelicots…

S’il était été un peu plus intelligent
Il aurait brisé son miroir
Et il aurait vu à quel point il était lui-même les autres…

S’il avait été libre, il ne serait pas devenu un mythe…

Le mirage est le livre du voyageur dans le désert.
Sans livre, sans mirage, il n’aurait pas continué la marche
À la recherche de l’eau. Il se dit : ceci est un nuage
Et il prend d’une main l’aiguière de ses espoirs et de l’autre
Il se tient la hanche. Il bat des pas sur le sable
Pour concentrer les nuages dans un trou.
Mais le mirage l’appelle,
Le tente, le dupe puis le hisse : lis
Si tu le peux. Écris si
Tu le peux. Il lit : « eau », « eau »,
« Eau ».
Et il écrit une ligne sur le sable : n’eût été le mirage
Je ne serais pas en vie jusqu’à maintenant

Par chance pour le voyageur, l’espoir
Est le frère jumeau du désespoir, ou alors sa poésie improvisée
Lorsque le ciel semble gris
Et que j’aperçois une rose qui soudain a fait saillie
À travers les lézardes d’un mur.
Je ne dis pas alors : le ciel est gris
Mais je scrute longuement la rose
Et lui dis : ah quelle journée !

Et à deux de mes amis je dis au seuil de
La nuit
S’il faut rêver, que notre rêve soit
Comme nous…et qu’il soit simple
Par exemple : que nous trois
Nous dînerons ensemble dans deux jours
Pour fêter la prophétie de notre rêve
Et qu’il ne manque personne de nous trois
Depuis deux jours,
Fêtons donc la sonate de la lune
Et la tolérance d’une mort qui nous ayant vus heureux ensemble
A fermé les yeux !
Je ne dis pas que loin, là-bas, la vie est possible

Ni que l'espace est imaginaire.
Je dis plutôt que la vie ici est possible
Que la terre est devenue sainte par hasard
Non pas parce que ses lacs, ses collines et ses arbres
Sont une copie du paradis de l’au-delà
Mais parce qu’un prophète a marché par ici,
Qu’il a prié sur un rocher à l’avoir fait pleurer
Et que la colline est tombée en pâmoison,
Par crainte de Dieu

Et c’est par hasard que la pente du champ est devenue
Dans cette ville, un musée des vétilles…
Parce que des milliers de soldats sont morts là-bas
Des deux côtés, pour défendre deux chefs qui
Disaient : allons. Et attendaient le butin dans
Deux tentes en soie, des deux côtés…

Les soldats sont morts plusieurs fois sans savoir
Jusqu’à maintenant qui a remporté la guerre !
C’est par hasard que quelques chroniqueurs ont vécu et ils ont dit :
Si les autres avaient vaincu leurs autres
L’histoire humaine aurait eu d’autres intitulés

O terre tout en verdure. Pomme. « Je t’aime ainsi verte»
Tu ondoies dans la lumière et dans l’eau. Verte. Ta nuit
Est verte. Ton aube est verte. Sème-moi en toute douceur…
Avec la douceur d’une main maternelle, dans une poignée d’air.
Je suis une de tes semences vertes…

Ce poème là n’a pas un seul auteur
Il aurait pu ne pas être lyrique…

Qui suis-je pour vous dire
Ce que je suis en train de vous dire ?
J’aurais pu ne pas être ici…

Mon avion aurait pu s’écraser
Un matin,
Mais j’ai la chance d’être un lève-tard
Et j’ai donc raté l’avion
J’aurais pu ne pas connaître Damas, le Caire
Le Louvre et les villes enchanteresses

Si je marchais plus lentement,
Le fusil aurait pu supprimer mon ombre
Du cèdre qui veille
Si je marchais plus rapidement
J’aurais pu recevoir un éclat d’obus
Et devenir une idée passagère
J’aurais pu, si j’abusais du rêve,
Perdre la mémoire.

Par chance, je dors seul
Et je peux donc être à l’écoute de mon corps
Et croire au talent que j’ai pour découvrir la douleur
J’appelle le médecin, avant de mourir de dix minutes,
Dix minutes suffisent pour que je vive par hasard
Et que je déçoive le néant
Qui suis-je pour décevoir le néant ?
Qui suis-je ? Qui suis-je ?













Mahmoud Darwish


jueves, noviembre 08, 2018

Sobre Esta Tierra


Sobre esta tierra hay algo que merece vivir: la indecisión de abril, el olor del pan al alba, las opiniones de una mujer sobre los hombres, los escritos de Esquilo, las primicias del amor, la hierba sobre las piedras, las madres erguidas sobre un hilo de flauta y el miedo que los recuerdos inspiran a los invasores.

Sobre esta tierra hay algo que merece vivir: el fin de septiembre, una dama que entra, con toda su lozanía, en la cuarentena, la hora del sol en la cárcel, una nube que imita un grupo de seres, las aclamaciones de un pueblo a quienes ascienden a la muerte sonriendo y el miedo que las canciones
inspiran a los tiranos.

Sobre esta tierra hay algo que merece vivir: sobre esta tierra está la señora de la tierra, la madre de los comienzos, la madre de los finales. Se llamaba Palestina. Se sigue llamando
Palestina. Señora: yo merezco, porque tú eres mi dama, yo merezco vivir.
















Mahmoud Darwish

Traducción del árabe: María Luisa Prieto

Sur Cette Terre


Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie : l’hésitation d’avril, l’odeur du pain à l’aube, les opinions d’une femme sur les hommes, les écrits d’Echyle, le commencement de l’amour, l’herbe sur une pierre, des mères debout sur un filet de flûte et la peur qu’inspire le souvenir aux conquérants.

Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie : la fin de septembre, une femme qui sort de la quarantaine, mûre de tous ses abricots, l’heure de soleil en prison, des nuages qui imitent une volée de créatures, les acclamations d’un peuple pour ceux qui montent, souriants, vers leur mort et la peur qu’inspirent les chansons aux tyrans.

Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie : sur cette terre, se tient la maîtresse de la terre, mère des préludes et des épilogues. On l’appelait Palestine. On l’appelle désormais Palestine. Ma Dame, je mérite la vie, car tu es ma Dame.













Mahmoud Darwish

Traduction : Elias Sanbar


miércoles, noviembre 07, 2018

Mrs Moreno


Medellin, Colombia.
The kettle runs out of breath,
nursed back to life
by a pair of hands with skin
colored by storms.

“There’s no day I don’t think about them,”
her hands sing into the cup
filling it with the richness of her coffee,
her words lead me
to the portraits of two handsome men— her sons.

“I thought I couldn’t live on,”
she turns and hands me the cup.
I feel her kindness
swell inside my throat;
she tells me about the bottomless
depth of loss
and what it means
to have both sons’ lives
taken away by guns.

Mrs. Moremo holds my hands.
“Don’t worry,” she says,
“I am okay. I have God’s love.”
In her eyes, I find the light of truth,

and suddenly I am no longer
a stranger in a home
that smells like my grandmother’s
even though
it’s on the other side of the globe.

When Mrs. Moreno reaches
out to hold me to her heart
I hear faith
speak in a language
that needs no translation.







Heroína Zapata, Mrs Moreno




Nguyen Phan Que Mai

miércoles, octubre 31, 2018

La Rosa De Los Vientos


Yo que encarno mis versos por los caminos de esta ciudad

Y que espero en su aurora un alma plena y de libertad
Tengo derecho al vino hasta el extremo de emborrachar
                           Al sexo y los placeres si es esta vida tan mundanal
Y no podré quedarme en paz si bebo amor, mi amor, y es tu amor y así sé soñar
                                        Si es mi ilusión no en soledad poder cantar hasta estallar

   Que como tengo amigos que como locos saben soñar
      A ellos es que dedico yo esta canción, su palpitar
   Que si de pronto olvido todo el amor en su trasegar
      Es que me estoy en vilo tranquilo el poro 
             Escuchando el mar

Y así mi sueño ahora anda loco y salta y canta y hasta se ríe un poco
Pues lo que tiene siempre le alcanza: si vive y muere
   Hombre, es que así se marcha.

Laila...












Fredy Alonso Herrón


miércoles, octubre 24, 2018

The Friendly Wood

Meditations pure were ours
Side by side, along the ways;
We held each other's hand without
Speaking, among the hidden flowers.

Alone we walked as if betrothed,
Lost in the green night of the fields;
We shared this fruit of fairy reels,
The moon, to madmen well disposed.

And then, we were dead upon the moss,
Far, quiet alone, among the soft
Shades of this intimate, murmuring wood;

And there, in the vast light aloft,
We found ourselves with many a tear,
O my companion of dear silence!














Paul Valery

Translated by Vernon Watkins


Le Bois Amical


Nous avons pensé des choses pures
Côte à côte, le long des chemins,
Nous nous sommes tenus par les mains
Sans dire… parmi les fleurs obscures;

Nous marchions comme des fiancés
Seuls, dans la nuit verte des prairies;
Nous partagions ce fruit de féeries
La lune amicale aux incensés

Et puis, nous sommes morts sur la mousse,
Très loin, tout seuls parmi l’ombre douce
De ce bois intime et murmurant;

Et là-haut, dans la lumière immense,
Nous nous sommes trouvés en pleurant
Ô mon cher compagnon de silence.














Paul Valéry


El Bosque Amigo


En las sendas pensamos cosas puras,
uno al lado del otro, fugitivos,
cogidos de la mano, y pensativos
en medio de las flores más oscuras.

Íbamos solos, como enamorados,
entre la verde noche del sendero,
compartiendo el fugaz fruto hechicero
del astro que aman los enajenados.

Después, muy lejos, en la sombra densa
de aquel íntimo bosque rumoroso,
morimos -¡solos!- sobre el césped blando.

Y arriba, en medio de la luz inmensa,
¡oh, amigo del silencio más hermoso,
nos encontramos otra vez, llorando!













Paul Valéry

Versión de Andrés Holguín

martes, octubre 23, 2018

Le soleil et la lune demandent...


Le soleil et la lune demandent
que jamais nous ne nous séparions.
Jamais. Mais le temps...

Et de quoi le temps est-il fait
si ce n'est de soleils et de lunes?

Mais le temps... Jamais.
















Miguel Hernández


Traduction de Sara Solivella Et Philippe Leignel


El sol y la luna quieren...


El sol y la luna quieren
que nunca nos separemos.
Nunca. Pero el tiempo...

¿Y de qué está el tiempo hecho
si no de soles y lunas?

Pero el tiempo... Nunca.













Miguel Hernández


sábado, octubre 20, 2018

L'Ombre Éternelle


Moi qui croyais que la lumière était mienne
précipité dans l'ombre je me vois.
Braise solaire, joie sidérale,
ignée d'écume, de lumière, de désir.

Sang léger, rond, grenade:
dur désir sans profil ni pénombre.
Dehors, la lumière dans la lumière ensevelie.
Je sens qu'il n'y a que l'ombre qui m'éclaire.

Seulement l'ombre. Sans trace. Sans ciel.
Êtres. Volumes. Corps tangibles
dans l'air qui n'a pas d'envol,
dans l'arbre des impossibles.

Froncements carminés, passions en deuil.
Dents assoiffées d'être rouges.
Obscurité de la rancune absolue.
Corps semblables à des puits aveuglés.

Manque l'espace. Le rire s'est effondré.
Il n'est plus possible de s'élancer au plus haut.
Le cœur veut être au plus vite
la force qui écarte l'étroite noirceur.

Chair sans nord qui va par vagues
vers la nuit sinistre, vaine.
Quel est le rayon de soleil qui l'envahisse?
Je cherche. Je ne trouve même pas des vestiges du jour.

Seulement l'éclat des poings fermés,
clarté des dents qui guettent.
Dents et poings de tous les côtes.
Plus que les mains, les monts s'étreignent.

Trouble est la lutte sans soif de demain.
Quelle distance de battements opaques!
Je suis une prison avec une fenêtre
devant une grande solitude de rugissements.

Je suis une fenêtre ouverte qui écoute,
par où voir ténébreuse la vie.
Mais il y a un rayon de soleil dans la lutte
qui laisse à jamais l'ombre vaincue.






Tableau de Odd Nerdrum








Miguel Hernández

Traduction de Sara Solivella Et Philippe Leignel




Eterna Sombra


Yo que creí que la luz era mía
precipitado en la sombra me veo.
Ascua solar, sideral alegría
ígnea de espuma, de luz, de deseo.

Sangre ligera, redonda, granada:
raudo anhelar sin perfil ni penumbra.
Fuera, la luz en la luz sepultada.
Siento que sólo la sombra me alumbra.

Sólo la sombra. Sin astro. Sin cielo.
Seres. Volúmenes. Cuerpos tangibles
dentro del aire que no tiene vuelo,
dentro del árbol de los imposibles.

Cárdenos ceños, pasiones de luto.
Dientes sedientos de ser colorados.
Oscuridad del rencor absoluto.
Cuerpos lo mismo que pozos cegados.

Falta el espacio. Se ha hundido la risa.
Ya no es posible lanzarse a la altura.
El corazón quiere ser más de prisa
fuerza que ensancha la estrecha negrura.


Carne sin norte que va en oleada
hacia la noche siniestra, baldía.
¿Quién es el rayo de sol que la invada?
Busco. No encuentro ni rastro del día.

Sólo el fulgor de los puños cerrados,
el resplandor de los dientes que acechan.
Dientes y puños de todos los lados.
Más que las manos, los montes se estrechan.



Turbia es la lucha sin sed de mañana.
¡Qué 
lejanía de opacos latidos!
Soy una cárcel con una ventana
ante una gran soledad de rugidos.

Soy una abierta ventana que escucha.
por donde va tenebrosa la vida.
Pero hay un rayo de sol en la lucha
que siempre deja la sombra vencida.








Pintura de Odd Nerdrum







Miguel Hernández



martes, agosto 28, 2018

Cadáver Exquisito


Comienza el día y una luz sentimental
nos envuelve, vuelve, se va.
La fabulosa sinfonía universal
nos envuelve, vuelve, se va.

Tango, sexo, sexo y amor,
tanto tango, tanto dolor.

Mi vida gira en contradicción,
jamás conquisté mi corazón.
Mas dónde estaba cuando pasó lo que pasó?

Hablándome al espejo solo.

Vengo de un barrio tan mezquino y criminal
quizás te queme, queme, quizás.
Vengo de un barrio siempre a punto de estallar
quizás te queme, queme, quizás.

Si de nada sirve vivir
buscas algo por qué morir.

El tiempo me ha enseñado a mirar,
Y a veces me ha enseñado a callar.
Dónde estabas cuando pasó lo que pasó?
Hablándote al espejo sola.

Es tanta la tristeza y es tan ruin
Que celebro la experiencia feliz
La estupidez del mundo nunca pudo y nunca podrá
Arrebatar la sensualidad.

Busco mi piedra filosofal
en los siete locos, en el mar,
en el cadáver exquisito al no tener piedad,
en la quinta esencia de la música.

Dentro mío, en el amor y el odio
tener que pensar (que pensar)
preferiría tu sonrisa, toda la verdad,
avanzo un paso, retrocedo,
y vuelvo a preguntar, que no cambie
para no cambiar jamás.

Todo es imperfecto amor y odio.









Fito Páez